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mis à jour le 20 décembre 2023

Est-ce vrai que manger du fromage le soir donne des cauchemars ?

Certaines personnes pense que manger du fromage le soir leur provoque des cauchemars. Est-ce crédible sur la plan scientifique ?

Réponse : c’est une croyance répandue, mais il n’y a pas ou peu d’études sérieuses pour l’étayer, donc il parait impossible de conclure si c’est VRAI ou FAUX…

L’hypothèse d’un lien entre les aliments (et notamment le fromage) et le sommeil ne date pas d’hier. Mais les études scientifiques sur le sujets sont rares et peu probantes.

Le médecin Shee JC a décrit en 1964 dans le British Medical Journal le cas d’un patient souffrant de cauchemars chaque fois qu’il mangeait du fromage, particulièrement quand celui-ci était cru et d’un âge... avancé (le fromage, pas le patient…).
L’interrogatoire de ce patient révéla qu’il consommait environ 30 à 60 grammes de Cheddar avec son souper. Ce patient était alors traité par un médicament antihypertenseur de l’époque, l’hydrochloride de pargyline, caractérisé par des propriétés de type IMAO (inhibiteur de la monoamide oxydase), connues pour intervenir sur le système nerveux puisque les IMAO sont utilisés de nos jours en tant que médicaments anti-dépresseurs.
Le patient décrivait à son médecin des cauchemars épouvantables et, de façon inhabituelle, ne mettant en scène ni sa famille ni des proches, mais plutôt des collègues de travail avec lesquels il n’avait aucun lien émotionnel particulier. Il rêva qu’un de ceux-ci était cruellement mutilé et pendu à un croc de boucher. Une autre fois, il se voyait lui-même tomber dans un gouffre sans fond...
Les mystérieux cauchemars disparurent quand disparu le Cheddar du menu du soir....

S’il est impossible de tirer une conclusion à partir d’un seul cas, il se pourrait dans le cas présent que le responsable de ces cauchemars ne soit pas le fromage en soit, mais plus précisément la tyramine, cet acide aminé contenu en quantité significative dans certains fromages (le Cheddar, en particulier), et qui peut interagir fortement avec les médicaments IMAO, au point de faire partie des aliments déconseillés quand on prend ce type de médicament. (Brown 1989, Pardo 2012)

Quelles relations entre la nourriture et les rêves « bizarres » ?
Nielsen et coll. ont publié en 2015 un article sur les relations entre la nourriture et les rêves « bizarres ». En faisant une revue de la littérature scientifique, les auteurs ont trouvé très peu de données permettant d’affirmer un lien direct entre nourriture et sommeil. Concernant le cas particulier du fromage, ils n’ont trouvé qu’une seule étude, mais non publiée, parrainée par l’industrie : en 2005, le British Cheese Board a mené une étude auprès de 200 volontaires sur les effets de la consommation de fromage sur les rêves. L’étude n’aurait trouvé aucune preuve de l’idée selon laquelle manger du fromage avant de dormir peut provoquer des cauchemars, mais aurait trouvé des preuves que différents types de fromage peuvent induire différents types de rêves - par exemple, manger du fromage Stilton conduisait souvent à des rêves « fous » et le fromage Cheddar faisait souvent rêver de célébrités. Mais, bien que les résultats aient été largement rapportés dans les médias [par exemple, « Sweet Dreams are made of cheese », Anonyme (Daily Mail), 2005], ils n’ont jamais été publiés dans une revue à comité de lecture. Il n’est donc pas possible de tirer des conclusions de cette étude.

Afin de mieux comprendre l’origine de cette croyance d’un lien entre nourriture et rêves, les auteurs ont mené une enquête auprès d’étudiants : Trois cent quatre-vingt-seize étudiants ont rempli des questionnaires évaluant le sommeil, les rêves, ainsi que les habitudes et motivations alimentaires. Il leur était également demandé s’ils avaient remarqué si les aliments produisaient des rêves bizarres ou dérangeants et si manger tard le soir influençait leurs rêves.

Les résultats montrent que 17,8 % des étudiants interrogés pensaient que les rêves sont influencés par la nourriture ; les produits laitiers étant la catégorie alimentaire la plus fréquemment incriminée (39 à 44 %).

Les auteurs suggèrent quatre hypothèses qui pourraient être à l’origine de cette croyance :

(1) La nourriture pourrait avoir des effets spécifiques sur le sommeil/le rêve ?

Plusieurs aliments contiennent des nutriments dont il a été démontré qu’ils ont un impact sur le sommeil, et il est possible que certains aliments puissent également avoir un impact sur les rêves, même si l’on soupçonne que ces effets seraient de nature plus générale (par exemple, calme ou agité) que d’un changement spécifique dans le contenu du rêve.

(2) Hypothèse d’une intolérance alimentaire ?

Les sensibilités et intolérances alimentaires, en particulier l’intolérance au lactose, pourraient jouer un rôle important dans les rêves dépendants de la nourriture. L’évaluation des allergies, sensibilités et intolérances alimentaires dans le cadre d’études futures devrait clarifier cette explication potentielle.

(3) Les influences "folkloriques" ?

Cette hypothèse stipule que la tendance d’un individu à percevoir des aliments particuliers comme affectant ses rêves trouve son origine dans l’assimilation de croyances sur l’alimentation qui ont été transmises de génération en génération au sein de familles, de groupes ou d’une culture populaire plus large.
Cette croyance culturelle peut même influer sur notre comportement et notre psychisme : ainsi, manger beaucoup de fromage avant de se coucher tout en se rappelant que cela provoquera sûrement des rêves bizarres peut augmenter la probabilité que des rêves bizarres se produisent.

(4) les erreurs d’attribution causales ?

Cette hypothèse propose que certains liens perçus entre la nourriture et les rêves puissent être faux : le lien avec la nourriture, ou avec un aliment particulier, étant une mauvaise attribution de la cause réelle. Par exemple, les étudiants à qui on apprend que le fromage peut provoquer des cauchemars peuvent être très enclins à attribuer les mauvais rêves à une pizza qu’ils ont mangée la veille d’un examen stressant plutôt qu’à leurs inquiétudes concernant l’examen.

En conclusion, le lien entre consommation de fromage et survenue de cauchemars n’est pas établi et plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer cette croyance assez répandue.

Niveau de certitude : FAIBLE

Sources :
SHEE JC. PARGYLINE AND THE CHEESE REACTION. Br Med J. 1964 May 30 ;1(5395):1441. doi : 10.1136/bmj.1.5395.1441. PMID : 14135177 ; PMCID : PMC1814487.

Brown, C., Taniguchi, G. and Yip, K. (1989), The Monoamine Oxidase Inhibitor—Tyramine Interaction. The Journal of Clinical Pharmacology, 29 : 529-532. https://doi.org/10.1002/j.1552-4604.1989.tb03376.x

Pardo JV. Mania following addition of hydroxytryptophan to monoamine oxidase inhibitor. Gen Hosp Psychiatry. 2012 Jan-Feb ;34(1):102.e13-4.

Nielsen T, Powell RA. Dreams of the Rarebit Fiend : food and diet as instigators of bizarre and disturbing dreams. Front Psychol. 2015 Feb 17 ;6:47. doi : 10.3389/fpsyg.2015.00047. PMID : 25741294 ; PMCID : PMC4330685.

Anonymous (Daily Mail). (2005). Sweet Dreams are Made of Cheese. Available online at : https://www.dailymail.co.uk/health/article-362101/Sweet-dreams-cheese.html (Accessed Dec. 10, 2023).

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