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mis à jour le 17 février 2018

Est-ce vrai que le jus de grenade prévient le vieillissement ?

Le jus de grenade est en vogue ! Ses vertus semblent presque trop belles (anticancer, etc.), et des études prétendent même qu’il pourrait allonger la vie. Voyons de quoi il retourne sur ce dernier point…

Hélas, c’est FAUX chez l’homme. Si certains extraits de jus de grenade allongent la vie… des vers dans des éprouvettes (comme c’est le cas avec d’autres extraits végétaux d’ailleurs), rien ne permet de dire qu’il en est de même chez l’homme.

Il semble exister un réel engouement pour le jus de grenade et en particulier pour un de ses dérivés, l’urolithine A, dont les bienfaits seraient immenses et qui aurait notamment des propriétés "anti-âge". Une publication scientifique de 2016 (1), dont les conclusions sont largement et fidèlement reprises par des journalistes et bloggeurs, suggère même que l’urolithine A pourrait accroitre de 40 % la durée de vie du vers C. elegans, modèle biologique utilisé pour étudier le vieillissement !

J’ai horreur de jouer les rabat-joie et j’aimerais sincèrement pouvoir vivre jusqu’à 140 ans en bonne santé (et beau et riche, si possible) juste en buvant un délicieux jus de fruit chaque matin (sous réserve que mon microbiote intestinal soit compatible, car tout le monde ne peut pas métaboliser le jus de grenade en urolithine A, mais c’est une autre histoire).
Cependant, je n’ai pas pu m’empêcher de lire cette fameuse publication (combien l’ont fait ?) et de chercher quelques informations complémentaires sur le sujet. Pour me faire ma propre idée.

Je ne vais pas ici vous redonner tous les arguments "théoriques" qui pourraient sous-tendre un rôle anti-âge de l’urolithine A, Google le fera bien mieux que moi.

Je vais me contenter de faire quelques constatations et d’émettre quelques commentaires sur ces fameuses "preuves" scientifiques :
1. L’étude de Mouchiroud L et coll. est une étude « en ouvert », c’est-à-dire que la personne qui observe les effets des extraits de grenade sur les vers sait s’il s’agit de vers exposés aux extraits ou à la solution contrôle. Or, on sait que ce type d’observation est moins rigoureux que l’observation « en aveugle » consistant à noter ce que l’on observe, sans savoir si on a affaire à des vers exposés ou non à la substance étudiée. Sans remettre en question la qualité de cette étude qui semble sérieuse, c’est un point qui interroge.
2. Le nombre de vers dans chaque groupe de cette étude n’est pas précisé dans l’article, il faut se référer à une autre publication pour le connaître. Or, c’est une donnée qui a son importance, comme on va le voir par la suite.
3. Cette étude ne compare pas des vers exposés à l’urolithine A à des vers exposés à rien, mais dans les deux cas on utilise un solvant (ce qui est habituel) : le diméthylsulfoxyde (DMSO), un solvant polaire organosulfuré, aprotique, qui semble également allonger la durée de vie du ver C. elegans jusqu’à 20% (2,3). Pourquoi ne pas avoir également comparé avec des vers élevés sans aucune intervention qui auraient pu servir de « contrôle » pour la durée de vie ?
4. Les résultats semblent extraordinaires : les vers C. elegans exposés à l’urolithine A ont une durée de vie prolongée de 45 % par rapport aux vers non exposés ! Mais, il suffit de chercher un peu pour constater que ce ver semble assez réceptif aux diverses substances qu’on lui administre :
o La tomatidine aussi prolonge la vie du vers C. elegans, qui se tortille de joie avec ce composé extrait de la tomate si on en croit une étude publiée en 2017 ! (4)
o Les omégas 3 semblent également faire du bien à ce ver et prolongent sa vie, selon les résultats d’un travail publié dans « Aging Cell » en 2017.(5)
o Une herbe utilisée en médecine indienne ayurvédique, Chlorophytum borivilianum, semble marcher aussi très bien en augmentant la vie de C. elegans mais aussi celle de Saccharomyces cerevisiae ! (6)
o On peut également prolonger de 35 % la vie de ce ver en le gavant d’un antidépresseur, la miansérine ! (7)
o Etc.

La liste des substances qui semblent modifier la longévité de C. elegans pourrait s’allonger, et Petrascheck M et coll. relataient en 2007 avoir testé les effets de 88 000 composés chimiques sur la durée de vie de ce nématode.(7)

Loin de moi l’idée de contester la validité de ces travaux qui sont aussi complexes à réaliser qu’à interpréter. Je laisse ce soin à Petrascheck M (encore lui) et Miller DL qui ont émis, dans un article publié en 2017, quelques réserves sur la validité de nombreuses études de longévité réalisées sur le ver C. elegans. Si on en croit ces auteurs, les études de durée de vie chez le vers C. elegans ne sont généralement pas valides, car elles ne sont pas assez rigoureuses…

Voici quelques extraits (traduits) de cet article :

  • « Les extensions de durée de vie [] pharmacologique sont généralement faibles par rapport à la variabilité inhérente à la durée de vie moyenne des vers… » « Cette variabilité rend la détection reproductible d’effets mineurs mais réels expérimentalement difficile. »
  • « Les différentes pratiques expérimentales, la taille des effets, le nombre d’animaux et les différentes formes de courbes de survie affectent la capacité de reproduire des effets de longévité réels. »
  • « Eviter [par de bonnes pratique méthodologiques] des études manquant de puissance permettra d’améliorer la reproductibilité des études de longévité au sein d’un même laboratoire et entre laboratoires, améliorant ainsi l’efficacité de la recherche dans ce domaine important. »

Tout est dit : la recherche sur la longévité et la prévention du vieillissement est trop importante pour qu’on continue à mener des études de qualité insuffisante, que personne n’arrive à reproduire et dont les résultats ne sont pas fiables.

Mais quand même, cela ne vaut pas le coup d’essayer ? Allez, Doc Phil, soit sympa, après tout qu’est-ce qu’on risque ? !

Boire du jus de grenade, cela parait totalement naturel et anodin, et même si les chances sont minimes pourquoi après tout ne pas essayer d’en boire pour vivre plus vieux, et ceci sans aucun risque ?

Je vois deux raisons :

  • C’est la dose qui fait le poison : même si un composé naturel semble bénéfique ou sans risque à faible dose, il peut devenir dangereux dès qu’on le consomme en excès. C’est probablement le cas, par exemple pour une vitamine bien connue, Brasky TM et coll. suggèrent en effet que la prise massive et à long terme de compléments en vitamines B serait associée à un risque de développer un cancer du poumon doublé, voire quadruplé chez les fumeurs (8). Voir mon article sur le sujet (http://www.estcevrai.fr/vous-avez-dit-bizarre/article/trop-de-vitamines-peut-augmenter)
  • Les jus de fruits sont considérés comme des apports de sucres ajoutés à notre alimentation, au même titre que les autres produits industriels sucrés : confiseries, sodas, glaces, etc. (ANSES Glucides)(9). Attention donc à ne pas déséquilibrer votre alimentation si vous envisagez de consommer de fortes quantités de jus de grenade.

Que conclure ?

En nutrition moderne, il n’y a pas de "bons" ou de "mauvais" aliments (j’entends pas là des aliments de base présents dans la nature, pas des produits transformés). Tout est une question de variété, d’équilibre et de plaisir. Il faut également savoir qu’en nutrition on dispose de très peu de preuves. Ce qui explique probablement que tout le monde s’en donne à coeur joie pour vanter (et vendre) son aliment « miracle », sans aucune preuve solide. Le jus de grenade rejoint donc probablement cette longue série de fantasmes. On peut choisir d’y croire ou pas, mais l’important est de ne pas déséquilibre son alimentation en consommant en excès telle ou telle substance, car ce qui est en revanche certain, ce que c’est la dose qui fait le poison.
En conclusion, quand quelqu’un vous propose sa recette miraculeuse, faites jouer votre sens critique, car vous ne risquez absolument rien… à ne pas l’adopter !

1. Ryu D, Mouchiroud L, Andreux PA, et al : Urolithin A induces mitophagy and prolongs lifespan in C. elegans and increases muscle function in rodents. Nat Med 22:879-88, 2016
2. Guan XL, Wu PF, Wang S, et al : Dimethyl sulfide protects against oxidative stress and extends lifespan via a methionine sulfoxide reductase A-dependent catalytic mechanism. Aging Cell 16:226-236, 2017
3. Frankowski H, Alavez S, Spilman P, et al : Dimethyl sulfoxide and dimethyl formamide increase lifespan of C. elegans in liquid. Mech Ageing Dev 134:69-78, 2013
4. Fang EF, Waltz TB, Kassahun H, et al : Tomatidine enhances lifespan and healthspan in C. elegans through mitophagy induction via the SKN-1/Nrf2 pathway. Sci Rep 7:46208, 2017
5. Qi W, Gutierrez GE, Gao X, et al : The omega-3 fatty acid alpha-linolenic acid extends Caenorhabditis elegans lifespan via NHR-49/PPARalpha and oxidation to oxylipins. Aging Cell, 2017
6. Pannakal ST, Jager S, Duranton A, et al : Longevity effect of a polysaccharide from Chlorophytum borivilianum on Caenorhabditis elegans and Saccharomyces cerevisiae. PLoS One 12:e0179813, 2017
7. Petrascheck M, Ye X, Buck LB : An antidepressant that extends lifespan in adult Caenorhabditis elegans. Nature 450:553-6, 2007
8. Brasky TM, White E, Chen CL. Long-Term, Supplemental, One-Carbon Metabolism-Related Vitamin B Use in Relation to Lung Cancer Risk in the Vitamins and Lifestyle (VITAL) Cohort. Journal of clinical oncology : official journal of the American Society of Clinical Oncology. 2017:Jco2017727735.
https://doi.org/10.1200/JCO.2017.72.7735
9. Anses, rapport "Actualisation des repères du PNNS : établissement de recommandations d’apport de sucres de 2016" https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2012SA0186Ra.pdf Consulté le 20/05/2018

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