Certaines personnes pensent qu’un bout d’ongle non digéré peut provoquer une appendicite. Cette croyance est probablement entretenue par des parents pour faire peur aux enfants et les dissuader de se ronger les ongles. Mais est-ce médicalement fondé ?
Réponse : c’est apparemment FAUX. Aucune publication scientifique ne rapporte de cas d’appendicite liée aux ongles. Et s’il s’agissait… d’une erreur de traduction ?
L’appendicite est très fréquente et pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, on ne sait toujours pas précisément l’origine de cette inflammation de l’appendice qui peut conduire à de graves complications. Une revue récente sur le sujet, parue dans le Lancet (6) évoque des facteurs génétiques, environnementaux, infectieux,… Mais ne parle pas du tout des ongles ! À vrai dire je n’ai trouvé aucun article scientifique parlant du rôle des ongles dans l’appendicite. Pourtant la question revient souvent : et si un bout d’ongle (qu’on suppose pas très digeste), se coince dans l’appendice, est-ce qu’il ne risque pas de la boucher ou de la perforer ?
J’ai donc enquêté, en faisant une revue de ce qui était publié dans les journaux scientifiques.
Les perforations de l’appendice par un objet avalé sont possibles, mais extrêmement rares Les cas d’appendicite avec perforation par un corps étranger avalé sont possibles. Ils sont cependant très rares (on cite dans la littérature le chiffre de 0,005% des appendicites, mais je n’ai pas pu vérifier cette information) et sont quasi exclusivement rapportés avec des objets pointus, généralement visibles à la radiographie (bouts de métal ou matière très dense)(1). Les enfants sont davantage touchés que les adultes.
On retrouve toutes sortes d’objets dans le tube digestif Même si la perforation du tube digestif par un corps étranger est rare, les publications sur ce sujet dans la littérature médicale sont assez nombreuses, probablement parce que le sujet marque les esprits et fait de bons articles avec des photos surprenantes. On retrouve un peu de tout dans les cas publiés : des objets variés et des perforations en divers endroits du tube digestif. En 1964, Fredell CH. a rapporté le cas d’un enfant de 11 mois ½ qui avait avalé une aiguille (2). Quelques jours après il a été opéré pour des signes d’appendicite et on retrouvé un appendice perforé par l’aiguille. En 2013 Anyfantakis D et al. rapportent le cas d’une perforation par un éclat de bois chez un enfant de 4 ans, mais cette fois c’est le diverticule de Meckel qui est touché (3). Le lendemain de noël 2013, le New England Journal of Medicine a publié le cas d’une patiente souffrant de douleurs épigastriques. Les images du scanner ont montré clairement une petite hache plantée dans son duodénum : il s’agissait d’une décoration de bûche de noël que la patiente avait avalé sans s’en apercevoir (4).
En 1998, Klingler PJ et al. ont publié une revue de la littérature portant sur les cas de corps étrangers digestifs publiés dans les 100 dernières années et ont recensé les cas associés à une appendicite avec perforation de l’appendice (1). Le tableau suivant est tiré de leur article et résume les cas de corps étrangers retrouvés dans l’appendice et publiés dans des revues scientifiques entre 1898 et 1997.
On note l’absence de toute référence à des ongles, dans cette revue pourtant exhaustive des cas de perforation de l’appendice. Alors d’où vient cette croyance que ronger ses ongles peut entraîner une appendicite ?
Et s’il s’agissait d’une erreur de traduction ? Perleman H et al. ont rapporté en 1959 (5) le cas d’un enfant de 9 ans admis à l’hôpital pour des douleurs abdominales évocatrices d’appendicite. Lors de l’intervention chirurgicale ils ont retrouvé un clou planté dans la paroi de l’appendice. Cet enfant ne se souvenait pas avoir avalé un clou, mais les auteurs notent qu’il est le fils… d’un charpentier. Je rapporte cet article américain (rédigé en anglais, donc), car il est à noter que « nail » en anglais est utilisé pour désigner un « clou » (comme c’était le cas dans cet article), mais le même mot sert également à désigner un « ongle ». Serait-ce l’origine d’une légende urbaine qui a accusé les ongles de perforer l’appendice alors qu’il s’agissait de clous ? On peut en effet imaginer qu’un journaliste ou un médecin français a lu un peu vite l’article, a confondu les deux termes et a ainsi diffusé une information erronée qui a été reprise par la suite sans vérification.
Je me permets d’émettre cette hypothèse qui a le mérite de la simplicité, mais qui est totalement invérifiable. Je viens cependant de trouver un flagrant délit de confusion entre finger nails (ongles) et carpenter’s nails (clous) sur un site de questions-réponses destiné aux scientifiques (!). L’auteur de la réponse cite "nails" comme possible corps étranger décrit dans la littérature scientifique, mais à l’évidence il s’est contenté des titres des articles (indiquant "nails") sans lire les articles (il aurait vu la précision : "carpenter’s nails", soit "clous de charpentier"). Voici le lien : http://biology.stackexchange.com/questions/25790/can-swallowed-fingermails-hair-or-skin-get-caught-in-your-appendix. Je joins à mon article une copie de l’écran avec mes commentaires. Je relève la même confusion sur le site anglais Yahoo Answers : https://answers.yahoo.com/question/index?qid=20061018193048AADTftz. Je joins également une copie d’écran.
Donc, la rumeur des ongles qui donnent l’appendicite, ne vaut probablement… pas un clou.
Ceci dit, les enfants arrêtez de vous ronger les ongles c’est énervant et ça fait des mains moches (ou alors rongez-vous les ongles des pieds, et évitez des les avaler quand même) ! ;-)
Niveau de preuve : Faible 1. Klingler PJ, Seelig MH, DeVault KR, Wetscher GJ, Floch NR, Branton SA, et al. Ingested foreign bodies within the appendix : A 100-year review of the literature. Digestive diseases (Basel, Switzerland). 1998 ;16(5):308-14. 2. Fredell CH. Appendicitis in an infant due to an ingested foreign body. review of appendicitis in a small hospital. Archives of surgery (Chicago, Ill : 1960). 1964 ;88:209-12. 3. Anyfantakis D, Kastanakis M, Papadomichelakis A, Kokinos I, Katsougris N, Petrakis G, et al. Perforation of Meckel’s diverticulum by a wood splinter in a 4-year-old child : a case report. Journal of medicine and life. 2013 ;6(2):195-7. (NB : Le radiologue qui a réalisé le cliché paru dans le New England Journal of Medicine m’a raconté lui même l’anecdote) 4. Hayek G, D’Assignies G. Images in clinical medicine. An unknowingly swallowed inedible toy. The New England journal of medicine. 2013 ;369(26):2535. 5. Perelman H, Sherwood HR. Acute appendicitis with perforation by an ingested nail. California medicine. 1959 ;91(2):87. 6. Bhangu A, Soreide K, Di Saverio S, et al. Acute appendicitis : modern understanding of pathogenesis, diagnosis, and management. Lancet. 2015 ;386(10000):1278-87.
16 octobre 2017, 20:05, par Ulrik
C’est bizarre, je me suis mis à faire des recherches sur ça, pcq quand j’étais petit j’avais l’impression que les enfants qui mangent leurs ongles avaient + de chances d’avoir l’appendicite que les autres. Ce qui serait top c’est de faire des statistiques avec des enfants qui rongent leurs ongles et d’autres qui les rongent pas et voir si y’a une différence au niveau des résultats. En + ce serait facile à faire. Y’a ptet un autre facteur que la perforation. En tout cas j’étais étonné de voir que la question s’était déjà posée. Mais du genre sceptique je trouve que vous avez déjà fait une très bonne analyse ^^
17 octobre 2017, 00:12, par Dr Phil
Bonjour, merci pour votre message. En sciences il faut toujours privilégier l’hypothèse la plus simple, la mieux étayée et la plus rentable : 1. Le mot "nail/clou" confondu avec "nail/ongle" apporte une hypothèse crédible à l’origine de cette croyance. 2. Le fait qu’on ne retrouve JAMAIS d’ongle dans les appendices conforte cette version. 3. En revanche, aucune constatation valide et publiée ne soutient l’hypothèse d’une relation ongle/appendicite. 4. La simple logique : l’évolution serait très mal faite si elle avait conduit à nous équiper d’ongles qui poussent et sont potentiellement mortels dès qu’on en avale un bout.
Donc on peut éviter de lourds investissements pour une recherche qui a peu de chances d’aboutir, risque au mieux d’établir des associations mais pas un lien de causalité, et surtout ne débouchera sur aucun bénéfice de santé publique : que ferait-t-on de cette "découverte" au final ? Une loi pour interdire de se ronger les ongles ? Une surveillance par scanner hebdomadaire de tous les enfants rongeurs d’ongles ? Une recherche sur un médicament anti-ongle ? Est-ce qu’il ne suffit pas d’éduquer les enfants, tout simplement ?
La théorie ongles -> appendicite n’a donc ni origine crédible, ni support théorique, ni rentabilité potentielle. Vous allez donc avoir du mal à lever les fonds pour réaliser votre étude. Je crains que nous n’ayons donc jamais la réponse définitive à cette question !
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