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mis à jour le 20 octobre 2016

Un mauvais antibiotique reconverti en bon antidépresseur : l’histoire de ces médicaments qui changent de carrière

Certains patients signalent à leur médecin des effets secondaires de leur antibiotique ou de leur traitement cardiaque parfois étranges, parfois plutôt sympathiques. Cela mène quelque fois à de nouveaux traitements des maladies mentales ou à la découverte du Viagra…

De nombreux médicaments trouvent au cours de leur vie un usage totalement différent de celui pour lequel ils ont été créés et commercialisés.
Dans le cas de la tuberculose par exemple, un antibiotique utilisé dans les années 50 pour la soigner entrainait un certain nombre d’effets indésirables comme de l’excitation et des insomnies. On a donc découvert par hasard, grâce à cette observation, un nouveau traitement efficace pour les patients dépressifs.
Certains scientifiques estiment que ces "heureux hasards", même s’ils sont peu fréquents, sont un moyen utile de découvrir de nouveaux traitements. Le terme de "sérendipidité" (anglicisme) est utilisé pour désigner en sciences ce phénomène qui consiste à découvrir fortuitement une chose, alors qu’on en cherchait une autre (par exemple l’étude des ondes radar qui aboutit à l’invention du four à micro-ondes).

Voici quelques exemples de médicaments qui ont changé de voie au cours de leur existence, du fait du hasard ou de la constatation d’effets imprévus (Bant TA, 2006) :

  • Le bromure de potassium, calmant qui a été largement utilisé ; son action sédative a été identifiée 30 ans après sa découverte, il était auparavant utilisé comme un substitut de l’iode dans diverses affections, sans grand succès.
  • Le lithium est un métal découvert en 1817. Comme on a découvert que le lithium dissolvait les cristaux d’acide urique, il fut d’abord utilisé pour traiter la goutte. La goutte étant une maladie apparaissant et disparaissant par crises, des médecins on eut l’idée de tester aussi le lithium dans certains troubles de l’humeur apparaissant et disparaissant périodiquement. Et cela a marché.
  • L’iproniazide a été synthétisé en 1951 pour le traitement de la tuberculose. Rapidement on a constaté, chez certains patients traités, l’apparition d’une certaine agitation avec euphorie. On a ensuite découvert que l’iproniazide était un puissant inhibiteur d’une enzyme, la monoamine oxydase, responsable du métabolisme des neurotransmetteurs. Ces deux constatations ont été à l’origine de travaux de recherche et de la découverte d’une classe importante de médicament antidépresseurs, les IMAO (Inhibiteurs de la MonoAmine Oxydase).
  • Le sildenafil est un médicament qui a été développé à l’origine pour traiter certaines maladies cardiaques en raison de sa capacité à dilater les vaisseaux. Le médicament fut plutôt décevant pour les médecins, mais certains patients masculins purent apprécier une certaine dilatation avantageuse de leur mâle anatomie sous l’effet de ce médicament. Le Viagra était né.
  • Le minoxidil est un antihypertenseur avec pas mal d’effets secondaires. Parmi ces effets, une tendance à faire pousser poils et cheveux, ce qui n’est pas forcément agréable chez les femmes qui doivent le prendre, mais qui a donné des idées pour développer un autre usage de ce médicament : utilisé en lotion capillaire, le minoxidil est aujourd’hui indiqué en cas de chute de cheveux modérée (alopécie androgénétique) de l’adulte, homme ou femme. Il favorise la pousse des cheveux et stabilise le phénomène de chute.

Enfin, l’efficacité clinique d’un antipaludéen (traitement du paludisme) pour lutter contre l’infection par le terrible virus Ebola a été découverte presque fortuitement, lorsque le centre de soins de Foya au Liberia s’est trouvé en rupture de stock d’artemether-lumefantrine. Pendant deux semaines, les patients ont donc été traités avec une autre association antipaludéene, l’artesunate-amodiaquine, et les médecins ont constaté une réduction de la mortalité des patients infectés par Ebola (Gignoux E 2016).

Même les médicaments les plus modernes et high-tech, sensés agir de façon précise et pointue, font parfois l’objet de découverte d’effets non prévus : des médicaments "anticytokines", utilisés dans le traitement de maladies inflammatoires chroniques (rhumatismes ou maladies intestinales par exemple) ont vu leur propriété antidépressive révélée par une méta-analyse de 2016 (Kappelmann N et coll.). En analysant les données de vingt études sur les anticytokines, ces chercheurs britanniques ont constaté un effet antidépresseur significatif chez les patients souffrant de dépression, indépendamment de l’effet du médicament sur leur maladie inflammatoire.

D’une façon générale, il y a peut être déjà dans nos armoires à pharmacie les traitements de demain pour des maladies aujourd’hui difficiles à traiter, qui sait ?

Date de publication initiale : 13 DÉCEMBRE 2015

Références :

  • Ban TA. The role of serendipity in drug discovery. Dialogues in clinical neuroscience. 2006 ;8(3):335-44.
  • Juli A, Juli L. New antidepressant drugs for new depressions. Psychiatria Danubina. 2014 ;26 Suppl 1:115-6.
  • Gignoux E, Azman AS, de Smet M, Azuma P, Massaquoi M, Job D, et al. Effect of Artesunate-Amodiaquine on Mortality Related to Ebola Virus Disease. The New England journal of medicine. 2016 ;374(1):23-32.
  • Kappelmann N, Lewis G, Dantzer R, Jones PB, Khandaker GM. Antidepressant activity of anti-cytokine treatment : a systematic review and meta-analysis of clinical trials of chronic inflammatory conditions. Mol Psychiatry. 2016.

Commentaires

  • Bonjour un autre exemple surprenant, la mirtazapine qui est un antidépresseur chez les humains, est utilisé chez le chat par les vétérinaires pour lui redonner de l’appétit dans le cadre de certaines maladies.

    • Merci pour votre exemple.
      Dans le cas de la mirtazapine, c’est son effet secondaire sur l’appétit qui est utilisé dans l’exemple que vous citez (chez l’homme il s’agit d’un effet indésirable connu, le traitement par mirtazapine pouvant ainsi entraîner des prises de poids).

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